Ca voulait dire mentir ...
On n'imagine pas avoir un grave accident un jour, on n'envisage pas l'événtualité que ça puisse nous arriver et par contre quand cela nous arrive, la phrase: " Ca n'arrive pas qu'aux autres", prend alors tout son sens ...
Parce que oui ça n'arrive pas qu'aux autres ...
Les premiers jours, je vous l'ai dis, on n'a pas vraiment conscience, on imagine être sur pieds d'ici trois semaines tout au plus, et au pire avec une paire de béquilles. Le bras qui ne bouge pas ? Ce n'est pas inquiétant, après tout j'ai eu un accident et entre nous quelqu'un peut-il affirmer qu'avoir les bras engourdis et paralysés c'est mauvais signe ? Bien sûre que non, personne. Moi non plus je ne savais pas. Je ne savais pas que j'allais devoir faire avec ça, avec ce corps infirme, ce bras mort, cette tête difforme, ces dents en vrac et ces jambes immobiles.
Je ne savais pas mais j'allais bientôt devoir apprendre.
Oh bien entendu je n'étais pas devenue sénile et je sentais bien que j'avais un piège à loup à la place des machoires et des morceaux de férailles qui me cisaillaient les gencives. Pas pour rien, qu'on venait me glisser une paille dans la bouche pour me nourir. Evidemment, je me doutais bien que si les infirmières venaient trois fois par jour m'étaler de la vaseline un peu partout sur le visage ce n'était pas pour lutter contre les rides. Mais, concrètement, je ne savais rien. Rien, parce que les premiers jours, alors que je réclamais vivement un miroir, personne n'avait voulu m'en donné un. Rien de mon bras parce qu'il était emitouflé dans un dujarier bleu nuit, et que quand je le laissais tomber faute de pouvoir le tenir pendant ma toilette (au lit bien entendu), je me disais qu'il devait juste être engourdi. Je me mentais juste. Rien, ni de mes jambes, ni de ma tête, parce que je ne pouvais ni les bouger, ni les secouer, ni même les tourner. Je ne savais pas parce qu'au fond on me cachait la vérité.
Et puis un matin, L. est entrée dans ma chambre un miroir à la main ...